
Dans une courée, y a le soucis de l’autre, même en cas de coup dur !
Aline et Pedro
Aline et Pedro habitent une courée Wazemmoise depuis 4 ans. Ils se sont lancés dans un projet d’habitat coopératif.
« J’ai retrouvé le lien de voisinage qui me manquait depuis mon arrivée en France. » Arrivé du Chili il y a 11 ans, Pedro a habité dans de plusieurs appartements avant d’emménager dans une petite maison de courée à Wazemmes.
C’est une de ses connaissances qui avait parlé de ce petit carré de briques où une quinzaine d’habitants tissent une solidarité de proximité. « Il y a quelque chose de différent ici : le souci de l’autre, une écoute, de la bonne humeur, de l’entente. » . Fred, une voisine plus âgée, témoigne : « C’est vrai que c’est particulier, ici. Quand tu arrives dans une courée, avec des jeunes, tu te demandes quels seront tes rapports de voisinage. Ici, on m’a tout de suite accueillie. Je n’avais connu ça qu’en Algérie – mais c’était différent... » Pedro se souvient d’une discussion avec un policier qui s’était trompé d’adresse : « C’est sympa ici... On ne dirait pas qu’on est à Lille ! » avait-il lancé.
Aline, l’épouse de Pedro, a mis quelque temps à rejoindre la vie de la courée : « Au début, j’étais réticente, j’avais peur de lâcher mon grand appart’. Dans la courée, tout le monde avait l’air de super bien se connaître. Ayant déjà connu la colloc’, je savais que trop de proximité m’empêchait de m’épanouir. »
« Dans une courée, tout se sait » convient Pedro, « difficile de cacher sa petite amie [rires] mais quand tu as besoin d’intimité, tu rentres chez toi. Et ici, on n’observe pas la barrière de l’individualisme qui caractérise les métropoles. »
Au bout de 4 années de vie dans la courée Aline ne regrette pas d’y avoir mis les pieds. Elle y apprécie la mixité sociale et la diversité des âges. « La moitié des résidents sont locataires, l’autre est propriétaire. Chacun a sa place. Si tu veux en connaître d’avantage sur les anciens habitants, il faut demander à Marco, c’est le plus ancien. Il connaît toute l’histoire de la courée... ».
Ce qui marque le plus Aline, c’est la solidarité « Quand un voisin a un problème, on est tous à réfléchir : comment on fait pour l’aider ? » « même en cas de coup dur ! » renchérit Pedro. Il se rappelle du décès d’un de ses voisins « On a hébergé toute la famille pendant une semaine. Tout le monde a ouvert ses portes. C’était très fort. Le soir des funérailles, on a fait la plus grande fête de l’histoire de la courée. Avec une très grande dignité. La famille a été très reconnaissante. Ça montrait sans calcul qu’il y a quelque chose de bon dans l’humanité. »
Pedro n’est cependant pas angélique : « la bonne ambiance ne tient qu’à un fil. Il suffit d’une personne qui ne joue pas le jeu pour faire dégénérer les relations de voisinage » . Il se souvient d’un couple de voisins au comportement asocial. « Ils mettaient la musique à fond jusque 5h du mat’. Les disputes étaient incessantes et leur chien faisait ses besoins partout. Ça a pourri l’ambiance. On a essayé d’en discuter, on a fait des réunions de courée avec eux. Rien n’a marché. Ils sont partis un matin et on ne les a plus revus. On était à la fois embarrassés et soulagés. Mais on est restés sur un sentiment d’échec. »
Une courée ouverte sur le quartier mais néanmoins clôturée.
Une grille sépare la courée de la rue. « Attention : ce n’est pas un squat ! » temporise Pedro en souvenir d’une personne attirée par l’ambiance festive de la courée, qui avait demandé s’il y avait de la place pour dormir. « C’est vrai que l’été, on est souvent dehors. Mais on n’en est pas moins des habitants et si un voisin fait trop de bruit, on n’a pas de problème pour aller taper à sa porte. » Aline regrette le manque de lien avec les habitants du quartier hors-courée. « On s’entend bien, mais une fête des voisins avec le reste des habitants serait la bienvenue. On a pensé à créer une association de voisinage car il manque des lieux de réunions et de discussion entre les habitants du quartier ».
L’idée de faire se rencontrer les habitants des courées voisines leur a aussi traversé l’esprit. « On pourrait faire un festival inter-courées. Cela permettrait aussi d’échanger autour des problématiques communes que nous rencontrons. On a au moins en commun de ne pas savoir si notre courée est publique ou privée. C’est la ville qui s’occupe de l’éclairage. Mais c’est nous qui entretenons la courée ».
Aline et Pedro ne remettent pas en cause cette répartition de la gestion du lieu. Ils conviennent que c’est au travers à cette réappropriation de l’espace en commun que la courée a trouvé sa cohésion sociale. « Un voisin a construit une grande table et des barbecues. » Conscients que ce n’est pas partout pareil, ils aimeraient tout de même que la particularité de la vie dans les courées soit prise en compte par la ville. « On a plein d’idées. Des barbecues publics pourraient être construits (cela existe en Belgique), du matériel adapté (chaises, tables... ) pourrait être mis à disposition à proximité des courées. Ça aide à construire une ambiance de quartier. »
Ici s’immisce la spéculation immobilière.
La grille de la courée ne protège pas de tout. Et encore moins des problèmes d’habitat lié à l’augmentation du coût de l’immobilier à Lille. Pedro et Aline sont unanimes : « Il y a de véritables problèmes de vétusté. Les loyers vont jusqu’à 700€. Les proprios spéculent sur l’ambiance de vie et les personnes aux revenus modestes ne peuvent pas avoir accès à ce type de logement. Quant à nous, nous n’avons pas les moyens de mettre notre logement aux normes. »
Les maisons de courées permettent rarement d’accueillir des foyers de plus de 2 personnes. Malgré la bonne ambiance actuelle, Pedro et Aline seront contraints de partir : « On a envie d’avoir des gamins. Seulement, quand tu as vécu ça, tu ne peux plus retourner dans l’anonymat le plus total ».
Vers l’habitat coopératif.
Pedro et Aline se sont donc associés avec quelques connaissances pour répondre à l’appel à projet d’habitat participatif organisé par la ville de Lille. Ces projets d’habitats ont pour vocation de construire, avec d’autres, des logements écologiques répondant au mieux aux besoins des habitants. Ils se veulent anti-spéculatifs doivent être conçus en lien avec le quartier.
Pedro s’inquiète d’une certaine inégalité d’accès à ce type de projet « C’est beau sur le papier, mais j’ai peur que ce soit artificiel. Tu choisis les gens en fonction de compétences que tout le monde n’a pas (ne serait-ce que l’informatique). Certains savent ce qu’il faut mettre dans le dossier pour le faire valider par la mairie. Pour répondre à l’appel à projet, il faut donc connaître quelqu’un. » Aline complète : « Je crois qu’on ne se serait jamais rencontrés si on n’avait pas été voisins... Mais dans une courée, tout se fait naturellement, alors que dans l’habitat participatif, tout est calculé. »
En espérant la concrétisation d’une politique sociale plus ambitieuse, le groupe d’Aline et Pedro joue le jeu de la mixité sociale : leur projet prévoit la construction de trois logements sociaux et la rédaction d’une clause afin d’éviter la spéculation. « C’est impossible qu’un appart’ de 60m² soit loué 700€. On fait ça pour s’assurer qu’on ne soit pas qu’une bulle à bobos parachutés sur le quartier. C’est important, car certains quartiers populaires se vident de leurs habitants ».
La politique des mairies de quartier est justement au centre de la réflexion d’Aline et Pedro. « Elle n’est pas vraiment faite avec les habitants. On nous demande de créer un endroit qui fait le lien avec le quartier, mais on ne pense même pas à faire des salles de réunion à proximité. Dans ce contexte, comment créer un lien avec les habitants ? » Aline complète : « ils se réunissent à huis clos, alors que ce que l’on veut, c’est des discussions entre habitants où chacun est invité. On n’est pas dans la même logique. »